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Тургенев Иван Сергеевич - Письма (1850-1854), Страница 2

Тургенев Иван Сергеевич - Письма (1850-1854)



   N'oubliez pas d'autoriser Mme votre mere ou Mlle Berthe de prendre un homme de peine pour venir en aide au jardinier: le parc et le jardin dans la cour sont bien sales - entre nous soit dit.
   Les lilas sont bien beaux dans cet instant. Tout Courtavenel me paraitra bien beau la veille de mon depart, cher Courtavenel!
   Vous voyez: quand je dis ce que je pense, je risque de vous faire de la peine... et il m'est difficile de parler d'autre chose.
   J'ai relu "Jeanne"7: c'est doux et beau... Seulement Jeanne est parfois un peu trop pedante... Les heroines de Mme Sand tombent souvent dans ce defaut - temoin la petite Fadetto8, Consuelo dans "La comtesse de Rudolstadt"9, etc. Mais tout ce qui vient d'elle porte la touche du maitre. Il y a une grandeur sereine et large dans sa maniere qui est admirable. Je ne connais rien de plus beau que la scene de la fenaison. Vous rappelez-vous la lecture de "Mauprat"10? J'y ai pense sur le sommet du Fie du Midi - il y a de cela - ma foi - bientot cinq ans; j'y penserai encore dans les steppes de la Russie et nous le relirons peut-etre un jour dans ce meme salon; a la place meme ou je vous ecris cette lettre... Ce jour-la sera plus beau que celui d'aujourd'hui... Cela me fait penser a la lecture d'"Hermann et Dorothee"11... Vous etiez assise a cette meme table ronde...
   Adieu, donnez-moi vos mains, que je les serre bien fort. Portez-vous bien, que le bon Dieu veille sur vous. Mille bonnes choses a Viardot et aL<ady>Monson. Soyez heureuse - adieu. Non - a demain.

Votre

J. Tourgueneff.

  

136. ПОЛИНЕ И ЛУИ ВИАРДО

2 (14) мая 1850. Париж

  

Paris. Mardi, 14 mai 1850.

   Je m'empresse de vous dire, mes chers et bons amis - (et je le fais avec la joie d'un enfant) que, grace a une des lettres que j'ai recues ce matin de Bruxelles - non seulement je puis - mais je dois rester encore quelque temps en Europe.- Je vais vous conter tout cela succinctement.- Ce matin a 9 heures je me presentai fort emu a la poste: on m'y remit cinq lettres.- Je regardai avidement les adresses avant de les ouvrir - je reconnus toutes les ecritures: la Ire etait de vous - (cette ancienne petite lettre que vous m'ecrivites a Bruxelles), la 2de de mon frere, la 3eme dela jeune demoiselle adoptive de ma mere1, la 4me de Krajeffski - la 5me enfin d'un ami de Petersbourg, que je ne veux pas nommer2. Je commencai par la votre - a tout seigneur tout honneur - et puis, quoi que vous en dites, vous ne m'avez pas trop gate sur ce chapitre-la cet ele - je connais quelqu'un a qui j'ai plus d'une fois porte envie - en recevait-il des lettres celuila! et charnues, pleines, a ecriture serree, se resserrant encore vers la fin3 - j'ai donc lu votre petit billet le premier et je l'ai trouve adorablement bon et charmant, comme tout ce qui vient de vous4.- Puis, j'ai ouvert la lettre de mou frere.- Loin de pouvoir m'envoyer de l'argent, il est lui-meme dans un etat atroce: ma mere lui a fait quitter sa place a Petersbourg ou il recevait des appointements assez considerables - en lui promettant en revanche de consentir a son mariage et de lui abandonner la direction de ses biens... Il a accepte pour sa femme... mais une fois le mariage consomme, ma mere ne lui a rien donne... Elle a meme fait en sorte que notre petit bien ne nous appartient plus - et le voila maintenant completement a sa merci, sans le sou, dans une des terres de ma mere qu'on lui a confiee pour l'administrer. Vous vous imaginez le ton de desolation qui regne dans sa lettre. Il me raconte tout ce quo sa pauvre femme a a subir de desagrements, etc. etc. etc.5 Je comprends maintenant pourquoi avec le peu de caractere que Dieu lui a donne, il n'a pas eu le temps de penser a moi - et je le plains de tout mon coeur. J'ai ouvert ensuite la lettre de la demoiselle.- Cette jeune personne me fait la grace de m'envoyer 2500 francs - et me traite, probablement d'apres des ordres donnes, en veritable fils prodigue, repentant et gueux.- Il faut que je sois a Moscou pour le 1er juin, jour de sa fete - et alors on verra si je merite qu'on me pardonne6.- J'ai empoche les 2500 francs sans le moindre remords de conscience, car mon petit bien dont on a confisque les revenus me rapportait presque le double par an - et voici 18 mois que je ne recois pas le sou.- La lettre de Krajeffski etait tres courte: pas un mot sur mon retour, des compliments sur mes derniers ouvrages7, l'annonce que la censure avait completement defigure le dernier8 - et une lettre de change de 800 francs8.- Arrive enfin la derniere lettre: celle-la vient d'un ami pas tres intime - mais il m'a rendu un service plus grand que tous les autres: il m'ecrit une lettre de deux pages, envoyees par occasion de Berlin. Voici ce qu'il me dit: "Mon cher ami, j'apprends que vous avez l'intention de retourner en Russie; je serais enchante do vous y revoir - et je crois meme que vous pourriez le faire avec assez de surete - votre nom n'ayant pas encore ete prononce en certain lieu; cependant, je vous conseillerais d'attendre: dans cet instant, on organise une veritable battue (c'est la le mot dont il se sert) contre tous les gens un tant soit peu suspects dans toute la Russie: les arrestatiens pieuvent - l'Emp<ereu>r, qui s'en va a Varsovie est d'une humeur tres belliqueuse; il faut laisser passer cet orage; je sais que vous n'avez jamais eu de demeles avec la politique et vos ouvrages (c'est lui qui parle) pourraient vous proteger jusqu'a un certain point - cependant, si rien ne vous presse, attendez encore... Vous pouvez le faire en toute surete, je vous en reponds". (Ces derniers mots sont deux fois soulignes par lui dans sa lettre.) "Ne revenez pas aussi longtemps que le vent n'aura pas tourne, entendez-vous?"
   Cet ami a des parents en haut lieu et bien renseignes.- Sa lettre coincidait tres bien avec le secret desir que j'avais1 de rester ici encore quelque temps - pour que je ne profitasse pas des conseils qu'elle renferme et que je crois tres raisonnables.- Dans tous les cas, je puis en toute surete de conscience attendre maintenant votre retour a Courtavenel - et la nous debattrons gravement et definitivement cette affaire.- Allons! - un grand poids m 'est tombe du coeur - je suis heureux et content comme un enfant.- Je suis heureux - et cependant je ne crois pas avoir fait acte de faiblesse - n'est-ce pas? - Allons, allons - die schonen Tage von Aranjuez sind noch nicht voruber10. Vive<nt> les bons et vrais amis qui pensent aux absents, vive Courtavenel, vive la Republique, vive "Sapho", vive Viardot, vive Pauline Viardot, vive... Je ne sais plus quoi ajouter.- Vive tout - excepte ce qui est mechant.
   Je repars demain pour Courtavenel - j'ai pleure comme une bete dans la diligence depuis Rozay jusqu'a Fontenay - mais je ne m'en repons pas - je vais rire comme un bossu pendant le meme trajet - je ramene Diane; j'embrasserai tout le monde jusqu'a Cuirassier.- Hourrah! Vive la Republique! - - - Ecrivez-moi, je vous en supplie, a Courtavenel, des que vous aurez recu cette lettre - пожалуйста, пожалуйста.
   Vive la Republique!
   J'ai ete hier avec Mlle Berthe entendre Mlle Alboni dans "Le Prophete": son succes y est tres grand, quoique pas aussi grand que pourraient le faire croire les journaux.- Rassurez-vous - vous n'avez rien a craindre d'elle... ce ne sera jamais (dans son jeu) qu'une ecoliere et son chant n'est pas plus dramatique que ma botte.- Elle vous copie servilement, jusque dans les moindres gestes, les moindres details de jeu scenique, d'intonation, de costume... mais il y a pour le moment engouement.- Cependant, il n'y a pas eu de bouquets hier... mais Roqueplan la soigne comme personne n'a ete soigne.- Je n'ai jamais vu de claque plus formidable et mieux disciplinee. On ne lui fait pas du tout repeter le "Comme un eclair" qu'elle dit mal.- Je voulais remettre le detail de cette representation jusqu'a demain - mais je puis aussi bien le faire aujourd'hui. - La ritournelle qui precede son entree m'a peniblement serre le coeur... elle entre, descend les marches,.. Grand applaudissement. Elle est vetue comme vous - seulement on lui a ajoute un grand manteau de meme couleur pour cacher son obesite.- Elle commence le recitatif: bonne prononciation, voix empatee, grasse, mais huileuse et douce a l'oreille.- Le petit duo avec Berthe. Insignifiant... on ne l'entend pas.- Dans le jeu copie servile. Elle n'est pas sotte et sait tirer parti de sa graisse pour se donner un chic maternel.- "Ah! mon fils" - tres bien chante - mais comme on chante un air de concert: pas la moindre emotion dans la voix - absence d'emotion dans le public, mais grand applaudissement.- En general, le public ne m'a pas paru une seule fois emu dans tout le courant de la soiree - mais seduit par le charme physique de la voix. Combien de gens n'en demandent pas davantage - et en veulent meme secretement a ceux qui le leur donnent! 4me acte. Air de la mendiante - peu d'effet - on n'a pas oublie votre: a mon pauvre enfant. Duo avec Berthe - bien.- Cependant, je ne sais pourquoi, mon oreille commencait deja a en avoir assez de cette pate douce et molle.- Scene de l'eglise.- Imprecation - dite sans energie, avec un trait italien a la fin - et cependant applaudie avec trepignement - pour le trait et pour les notes basses du "qu'il soit maudit".- Scene avec Jean jusqu'a la fin: essouffle, faible, ecourte.- Cela une creation - un type! c'est une ecoliere, je le repete, qui se met en quatre, qui copie avec le plus de soin qu'elle peut.- Pas grand succes.- Les Francais sont cependant de grands badauds: vous lirez dans les journaux des phrases telles quo celles-ci: sobriete de geste, etc.- Tout cela, c'est des betises... Elle veut faire ce que vous faites, mais son corps gras et lourd s'y refuse - elle reste a mi-chemin - et on nomme cela "sobriete".- Je le crois bien, parbleu! Je suis sur que tout cela n'est rien et peut-etre servira-t-il a faire ouvrir aux Parisiens les yeux sur la grandeur et la largeur de votre talent. Vous etes une nature d'elite, Mlle Alboni est une excellente chanteuse.
  

137. ПОЛИНЕ ВИАРДО

4, 6, 7 (16, 18, 19) мая 1850. Куртавнель

  

Courtavenel. Jeudi, 16 mai 1850.

   Bonjour, chere et bonne Madame Viardot. Guten Morgen, theuerste Frau.
   Me voila donc de retour dans ce cher Courtavenel. Il commence a se faire propret et coquet. Je vais me mettre a le soigner a fond. J'ai trouve tout le monde bien portant et je dois dire que mon arrivee a paru faire plaisir. Je les, ai embrasses tous avec bonheur. Le bon Gounod etait venu a ma rencontre a Rozay dans le tilbury1. J'ai passe une excellente nuit dans ma nouvelle chambre (la plus proche du cousin Theodore2).
  
   Samedi.
   Le facteur est venu interrompre ma lettre; je vous ai ecrit deux mots que j'ai mis dans la lettre de Gounod, qui nous a lu quelques passages de la votre. Vous lui parlez d'une lettre que Viardot et vous m'auriez ecrite; je ne l'ai pas recue a Paris; peut-etre l'aviez-vous envoyee a Bruxelles, dites-le moi, pour que je puisse la faire venir3. J'espere que vous ne m'en voudrez pas de ne pas venir a Berlin - puisque je suis a Courtavenel. Je vous avouerai que je suis heureux comme un enfant d'y etre; je suis alle dire bonjour a tous les endroits auxquels j'avais deja dit adieu avant de partir. La Russie attendra - cette immense et sombre figure immobile et voilee de nuages comme le sphinx d'Oedipe4. Elle m'avalera plus tard. Je crois voir son gros regard inerte se fixer sur moi avec une attention morne, comme elle convient a des yeux de pierre. Sois tranquille, sphinx, je reviendrai a toi, et tu pourras me devoref a ton aise, si je ne devine pas l'enigme. Laisse-moi en paix pendant quelque temps encore! Je reviendrai a tes steppes.
   Pour le moment je suis en Brie et je ne m'en plains pas. Deux hommes travaillent incessamment dans le parc, qui se debarbouille peu a peu. Il a moins l'air d'une barbe tres mal faite qu'auparavant: il sera charmant pour votre retour! Des vieilles femmes viendront enlever le bois mort qui l'encombre. On posera des bancs moins dangereux pour ceux qui s'asseoiront dessus. La balancoire sera arrangee, etc., etc. Je reponds de tout cela sur ma tete - vous venez.
   Il a fait tres beau aujourd'hui. Gounod s'est promene tout le jour dans le bois de Blandureau a la recherche d'une idee; mais l'inspiration, capricieuse comme une femme, n'est pas venue, et il n'a rien trouve. C'est du moins ce qu'il m'a dit lui-meme. Il prendra sa revanche demain. Dans ce moment il est couche sur la peau d'ours en mal d'enfant, il a une obstination et une tenacite dans son travail, qui font mon admiration. Le vide de la journee d'aujourd'hui le rend tres malheureux; il pousse des soupirs gros comme le bras et n'est pas capable de se distraire de sa preoccupation. Dans sa desolation il s'en prend au texte; j'ai tache de le remonter et je crois y etre parvenu. Il est tres dangereux de se laisser aller sur cette pente: on finit par se croiser les doigts sur le ventre et l'on se dit: "Mais tout cela est atroce!" J'ai recu ses doleances un peu en riant, car je sais que tous ces petits nuages disparaitront au premier souffle et je suis tres flatte d'etre le confident de ses petites douleurs de creation.
   J'ai attrape un assez gros rhume a Paris, qui se dissipe a l'heure qu'il est. A propos, vous savez deja que la petite Louise a tres heureusement subi l'indispensable visite de la rougeole. La voila quitte maintenant de cette vilenie. A demain. Que le bon Dieu veille sur vous. Nous sommes tres heureux de vos succes. Ce monstre de Gounod, qui recoit des lettres de 8 pages! Enfin! je ne veux pas lui envier son bonheur. A demain.
  
   Dimanche.
   Eh bien! j'avais raison de dire qu'il prendrait sa revanche: il a trouve une tres belle chose pour vous. Jusqu'a present il n'avait pas aborde votre role. C'est plein d'elan, c'est genereux et pathetique - de ce pathetique doux et penetrant qui lui est propre. Ce qui manque un peu a Gounod, c'est le cote brillant, populaire; sa musique est comme un temple; elle n'est pas ouverte a tout venant. Aussi je crois que, des sa premiere apparition, il aura des admirateurs enthousiastes et un grand succes de musicien dans le public; mais cette popularite volage, sauteuse et remuante comme une bacchante n'ira pas se pendre a son cou de suite; je crois meme qu'il la dedaignera toujours. Sa melancolie si originale dans sa simplicite et qu'on finit par aimer si tendrement n'a pas des formes saillantes qui s'enfoncent dans l'oreille; il ne pique pas, il n'emoustille pas l'auditeur - il ne le chatouille pas; il possede une foule de tons sur sa gamme - mais tout ce qu'il fait - jusqu'a une chanson bachique comme "Trinquons" - porte un cachet eleve; il idealise tout ce qu'il touche - mais en s'elevant on quitte la masse. Du reste, parmi cette grande quantite de petits talents vulgairement spirituels, comprehensibles non pas a force de lucidite, mais de trivialite - l'apparition d'une nature musicale comme celle de Gounod est quelque chose de si rare, qu'on ne saurait la saluer avec assez de bonheur. Nous avons beaucoup parle de tout cela ce matin. Il se connait, lui autant qu'homme peut se connaitre. Je lui recommande de travailler surtout Glycere5: pour Sapho, je sais bien qu'elle sortira belle et grande de ses mains. Je ne crois pas non plus qu'il ait la veine comique man ist am Ende... was man ist, dit Gothe6. Mais vous pouvez vous imaginer avec quelle impatience il vous attend - nous vous attendons (je ne parle maintenant que sous le rapport musical) - je puis dire: nous vous attendons, car ayant assiste et assistant encore a l'enfantement de "Sapho", j'y prends un interet tout particulier, j'oserais dire presque paternel. Je sens que nous sommes lies d'amitie, d'amitie vraie; je crois qu'il est content de m'avoir aupres de lui. Mais venez, venez et vous verrez. Ce qu'il a fait aujourd'hui est vraiment beau et il me semble que, rendu par vous, cela fera palpiter. Venez seulement, et vous verrez.
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   Il fait aujourd'hui un temps superbe; c'est la premiere journee d'ete que nous ayons eue, chaude et claire. Les arbres, l'herbe, tout est heureux, frais, calme, jeune... Mais nous avons des hannetons en masse. Les chiens les mangent il est vrai... mais qu'est-ce que deux chiens contre mille millions de milliards d'hannetons? Diane est completement retablie, Sultan redevient ventru. Voila son portrait: Veronique pretend que quand on pourra faire renoncer a manger ce chien!!.. et elle n'acheve pas sa phrase. Et cependant, je fais tout au monde pour l'empecher d'engraisser: je le fais manger perpendiculairement en le tenant par les pattes de derriere - rien n'y fait. Le facteur vient d'arriver. Je n'ai que le temps de vous serrer les mains bien fort et vous benir tous.

Votre J. Tourgueneff.

  

138. А. А. КРАЕВСКОМУ

9 (21) мая 1850. Париж

  

Париж.

21-го/9-го мая 1850-го года.

   Я получил Ваше письмо здесь, любезный Андрей Александрович1, - я по разным причинам еще не покинул Парижа - и очень благодарен Вам за присланные деньги2. Через месяц - никак не позже - я буду иметь удовольствие пожать Вам руку в Петербурге3.- Сожалею об участи "Дневника" - тем более, что я никак не ожидал, чтобы цензура напала на такое невинное произведение - но судьбы неисповедимы. Ла Илла ил Алла, Магомед Резул Алла!!4 - Я сильно начинаю склоняться к магометанской вере. Прощайте, будьте здоровы - и до свиданья.

Ваш

Ив. Тургенев.

   На конверте:

Russie, St-Petersbourg.

Его высокоблагородию

Андрею Александровичу Краевскому.

В С.-Петербурге.

В конторе редакции журнала "Отечественные записки".

  

139. ПОЛИНЕ ВИАРДО

  

9 (21) июня 1850. Париж

Paris.

Mercredi {*}, 21 juin 1850.

{* Так в подлиннике.}

   Bonjour, ma chere et bonne Madame Viardot. Que Dieu vous benisse et vous protege a chaque instant de votre vie! Helas, oui - je pars mardi. Vingt-quatre heures de reflexions n'ont fait que me confirmer dans ma resolution. Je vous avais promis pour aujourd'hui une lettre plus detaillee1, mais a quoi bon? Qu'il vous suffise de savoir qu'il m'est impossible de remettre mon depart; vous pensez bien que sans des raisons bien graves, je n'aurais jamais pris une semblable determination2. Je pars - mais avec quelle tristesse dans l'ame, avec quel poids sur le coeur!
   Allons - il ne faut plus y penser - et cependant je ne saurais parler d'autre chose. Je le pourrai, une fois de retour en Russie, mais ici, maintenant, cela m'est impossible... J'ai ecrit aujourd'hui au bon Gounod et a tous les habitants de Courtavenel, de ce cher Courtavenel, qui me semble maintenant le plus bel endroit de la terre, et dont je garderai le souvenir aussi longtemps que je vivrai. Quand le reverrai-je? Quand vous reverrai-je? Il faut esperer - pas trop tard.
   Il y a longtemps de cela vous m'avez montre un air compose par votre soeur, encore toute jeune, sur ces paroles de Metastase: "Ecco il un fiero istante"3. Je me rappelle, j'en ai ete frappe alors comme d'un lugubre pressentiment. Depuis quelques jours ces mots ne me sortent plus de la tete. Addio, addio. Voila que ce mot: addio reveille en moi un autre souvenir: j'etais a Rome pendant le carnaval de 1840. Je traversais une petite rue isolee, quand tout a coup j'appercus sur le seuil d'une porte une belle fille en costume de paysanne d'Albano, qui tenait la main d'un homme enveloppe dans un manteau brun et lui disait en fondant en larmes: "Addio, addio". Elle le disait d'une voix si penetrante, si claire et si brisee en meme temps que le son m'en est reste dans l'oreille et que je crois l'entendre encore maintenant4. Je ne sais pas trop pourquoi je vous raconte tout cela. Addio!
   Gounod et moi, nous avons maintenant, chacun de nous, vos deux daguerreotypes. Les yeux du mien semblent regarder. Je suis bien content de l'avoir.
   J'ai vu hier Mlle Rachel dans "Angelo"5; elle y est mediocre et la piece est detestable. Mais les costumes de Mlle Rachel sont magnifiques.
   Dites a Chorley que je ne partirai pas sans lui ecrire; que je tiens trop a son bon souvenir pour ne pas le lui dire. Saluez de ma part aussi Lady Monson et les East6. Pour le bon Viardot, je l'embrasse sur les deux joues. Diane ne verra pas Cid! Pauvre fille, elle aura bien froid en Russie, comme son maitre.
   Vous ne m'en voulez pas, n'est-ce pas, de ce que je vous ecris d'aussi petites lettres? Que voulez-vous - je ne veux pas vous attrister et un proverbe russe dit qu'on parle surtout de ce qui vous fait mal. Demain nous aurons des nouvelles de la representation d'hier. J'espere qu'elles seront excellentes. J'ai beaucoup pense a vous toute la soiree. Mais quand est-ce que je ne pense pas a vous?
   Ah! donnez-moi vos mains, mes bons amis. Que je les serre bien fort, bien fort! Je vous ecrirai tous les jours jusqu'a mon depart, et ensuite. Il parait qu'on a livre le pauvre Bakounine aux Autrichiens, c'est-a-dire a la mort.
   Qui me l'aurait dit, il y a dix ans, quand nous vivions tous deux dans la meme chambre...7
   Adieu. Que le bon Dieu veille sur vous incessamment. Soyez heureuse, benie, gaie, contente et bien portante. Pour moi, je suis a tout jamais

votre

J. Tourgueneff.

  
   P. S. Soyez heureuse - c'est la priere de tous mes instants.
  

140. А. И. ГЕРЦЕНУ

10 (22) имя 1850. Париж

  

Париж.

22-го/10-го июня 1850-го г.

   Я приехал из деревни, любезный Александр, час спустя после твоего отъезда1 - ты можешь себе представить, как мне было это досадно - я бы так был рад еще раз с тобой повидаться перед возвращеньем в Россию.- Да, брат, я возвращаюсь; все вещи мои уложены, и послезавтра я покидаю Париж и через неделю, в будущую субботу, сажусь на пароход в Штеттине2. - Ты можешь быть уверен, что все твои письма и бумаги будут мною доставлены в целости - и хотя ты не удостоил меня даже извещением о месте твоего пребыванья - я исполню все свои обещанья; буду высылать тебе книги и журналы на имя девицы Эрн, как мы условились - к Ротшильду; я сегодня же зайду к нему и извещу его об этом.- Бог знает, когда мне придется тебе писать в другой раз; бог знает, что меня ждет в России - mais le vin est tire - il faut le boire.- В случае какого-нибудь важного обстоятельства - ты можешь известить меня помещением в объявлениях "Journal des Debats", que m-r Louis Morisset de Caen и т. д. Я буду читать этот журнал и пойму, что ты захочешь мне сказать3.- Прощай, милый Герцен; желаю тебе всех возможных благ; я от твоего имени обниму всех твоих друзей - мы много будем говорить о тебе с ними. Постараюсь также по тому же адрессу доставить тебе сведения об Огареве4 и пр.- Будь здоров и действуй по возможности. Крепко жму руку твоей жене и целую твоих детей. Мой поклон Гервегу и его жене. Еще раз обнимаю тебя и остаюсь

твой

И. Тургенев.

  

141. ЛУИ ВИАРДО

12 (24) июия 1850. Париж

  

Paris.

   Lundi, 24 juin 1850. Je ne veux pas quitter la France1, mon cher et bon ami, sans vous avoir dit combien je vous aime et vous estime, et combien je regrette la necessite de cette separation. J'emporte de vous le souvenir le plus affectueux; 'j'ai su apprecier l'excellence et la noblesse de votre caractere, et, croyez-moi, je ne me sentirai veritablement heureux que quand je pourrai de nouveau, a vos cotes, le fusil a la main parcourir les plaines bien-aimees de la Brie. J'accepte votre prophetie; je veux y croire 2. La patrie a des droits sans doute; mais la veritable patrie n'est-elle pas-la ou on a trouve le plus d'affection, ou le coeur et i'esprit se sentent plus a l'aise? Il n'y a pas d'endroit sur la terre que j'aime a l'egal de Courtavenel. Je ne saurais jamais vous dire combien j'ai ete touche de tous les temoignages d'amitie que j'ai recus depuis quelques jours; je ne sais vraiment pas par quoi je les ai m'rites; mais ce que je sais, c'est que j'en garderai le souvenir dans mon coeur aussi longtemps que je vivrai. Vous avez en moi, mon cher Viardot, un ami devoue a toute epreuve. Allons, vivez heureux; je vous souhaite tout ce qu'il y a de bon au monde. Nous nous reverrons un jour; ce sera un jour heureux pour moi, et qui me dedommagera amplement de toutes les tristesses qui m'attendent. Je vous remercie de vos bons conseils et vous embrasse avec effusion.
   Soyez heureux, mon bon et cher Viardot, et n'oubliez pas votre ami

J. Tourgueneff.

  

142. ПОЛИНЕ ВИАРДО

12 (24) июня 1850. Париж

  

Paris.

Lundi, ce 24 juin 1850.

   J'ai recu votre lettre avant-hier1, chere et bonne Madame Viardot, et ne vous reponds qu'aujourd'hui... Ah! mon Dieu, je voudrais etre deja hors de Paris; il me prend ici des defaillances de tristesse et de decouragement... Je devais prevoir ce qui m'arrive maintenant - je savais bien que je ne pouvais pas rester eternellement en France et cependant ce depart me cause un dechirement indicible... Je pars demain a 8 h. du soir; je vous ecrirai encore avant de me mettre en route. J'espere que j'aurai une lettre demain; vous me l'avez promise2 et veritablement j'en ai besoin. Je suis comme la Perette du Pot au Lait3; ma crache est tombee par terre et j'en regarde tristement les eclats, sans chercher meme a retenir une partie du fluide qui s'echappe... Adieu, adieu, je m'enfonce dans le desert; a chaque pas que je fais en avant, il se deroule devant moi plus immense et plus desole. Adieu. Que Dieu vous protege et veille sur vous!
   J'ai recu une excellente lettre de Gounod. C'est un coeur d'or. Sa mere et Mlle Berthe me disent aussi des paroles bien affectueuses. Je ne croyais pas etre tant regrette.., j'en ai ete touche jusqu'aux larmes. Que Dieu leur rende leur bonte en bonheur! Ah! mes amis, ce coeur qui vous quitte saigne a s'epuiser...
   Pourquoi ne m'avez-vous rien dit de votre triomphe de jeudi passe? Tous les journaux vous prodiguent des eloges enthousiastes. Croyez-vous donc que je puisse jamais etre assez triste, assez preoccupe de mes propres chagrins pour ne pas etre heureux de vos succes, pour ne pas desirer savoir les moindres details de ce qui vous arrive? Si vous pouvez le croire, vous vous trompez fort. Au contraire, je vous prie de ne pas m'epargner dorenavant ces details et d'etre persuadee que jamais rien ne me sera si cher... Ah! vous le savez bien!
   Permettez-moi de vous laisser en souvenir un petit tapis, que j'ai toujours eu pres de mon lit. Il n'est pas beau, mais vous pourrez le mettre dans votre antichambre. Mettez-le dans un endroit ou vos regards puissent tomber sur lui au moins une fois par jour. Je le deposerai chez votre portier.
   Des demain, des le jour de mon depart, vous pouvez m'ecrire a Petersbourg. J'ai frissonne en ecrivant ces lignes. Voici mon adresse: a Mr J. T. au Comptoir de Commission et d'Agence d'Iazykoff et Cie a Petersbourg4. On saura toujours la ou je serai et l'on me fera parvenir vos lettres. Ecrivez-moi, je vous en prie. Je serai a Petersbourg, si Dios quiere, mercredi prochain; j'y resterai une dizaine de jours; puis j'irai a Moscou, de la a la campagne et je serai de retour a Petersbourg vers le 15 octobre vieux style. J'y resterai tout l'hiver. Ecrivez-moi, ecrivez-moi; je ne vivrai que de l'esperance de recevoir des lettres de mes amis.
   Je vous ecrirai de Berlin, de Petersbourg, de la campagne, de Moscou; oh! je vous ecrirai souvent!
   Je sais maintenant ce que doit ressentir une plante qu'on arrache du sol; elle avait pousse des racines de tous cotes - en toute securite - et voila que tout est brise et rompu... Non pas tout, je l'espere; nous resterons amis - n'est-ce pas - par l'affection et le souvenir...
   Quand je me sens bien triste, savez-vous ce que je fais? Je rassemble toutes les forces de mon ame, je tache de me rendre aussi bon et aussi pur que possible, je me recueille pieusement pour vous benir, pour vous entourer de mes voeux les plus tendres... Que votre vie soit heureuse et belle - et je promets au Ciel de ne jamais lui rien demander pour moi.
   Je sors pour faire mes dernieres courses; je vous ecrirai encore ce soir et demain. Adieu, adieu. Soyez heureuse: cela a ete mon premier mot - et ce sera mon dernier.

Votre

J. Tourgueneff.

  
   P. S. Ci-joint deux petits mots pour Viardot et pour Chorley. Il y a aujourd'hui juste un an - nous lisions avec vous "Hermann et Dorothee" dans le grand salon de Courtavenel...6 Comme le temps marche!
   A ce soir. Soyez heureuse.
  

143. ПОЛИНЕ ВИАРДО

12, 13 (24, 25) июня 1850. Париж

  

Lundi, 24 juin 1850.

Paris.

   9 h. du soir. Voici donc le dernier soir que je passe a Paris, chere et bonne Madame Viardot.- Demain a pareille heure je roulerai deja sur la route de Berlin1.- Je ne vous entretiendrai pas de mes angoisses, de mes tristesses, vous pouvez vous les imaginer, sans que je vous attriste encore par mes paroles.- Tout mon etre se resume en un seul mot: adieu - adieu.- Je regarde autour de moi, je rassemble tous mes souvenirs, jusqu'aux plus insignifiants - comme on dit que les emigrants pour l'Amerique ramassent jusqu'aux plus humbles objets do leur menage et j'emporte tout avec moi comme un tresor.- Si vous voulez me promettre aussi de vous souvenir de moi - je crois que je supporterai l'absence avec plus de facilite - avec un coeur moins gros.- Quand vous serez de retour a Courtavenel, promettez-moi de saluer en mon nom ses murs cheris - quand assis sur le perron par une belle soiree d'automne, vous regarderez se remuer les cimes des peupliers de la cour - pensez, je vous prie, a votre ami absent, qui aurait ete si heureux de se trouver la parmi vous.- Pour moi, je n'ai pas besoin de vous promettre de penser souvent a vous; je ne ferai pas autre chose; je me vois d'ici, assis seul sous les vieux tilleuls de mon jardin, le visage tourne vers la France et murmurant tout bas: ou sont-ils, que font-ils maintenant? - Ah! je sens bien que je laisse mon coeur ici. Adieu; jusqu'a demain.
  
   Mardi, 8 heures du matin.
   Bonjour, pour la derniere fois en France, bonjour, chere Madame V. Je n'ai presque pas dormi; je me reveillais a chaque instant - et je sentais ma tristesse se prolonger jusque dans mon sommeil. J'attends une lettre de vous aujourd'hui - et une de Gounod; je l'ai prie de m'envoyer le "Soir" et le "Lamento"2. Vous souvenez-vous - mais non - je n'en suis pas encore a trouver du charme dans ces trois mots - plus tard peut-etre - mais pas maintenant. J'aurai une lettre de vous - n'est-ce pas?
   Vous ne sauriez croire quel plaisir m'a cause votre rentree triomphale3.- Je vous en prie, quand vous m'ecrirez en Russie, donnez-moi des details minutieux de vos representations - en general beaucoup de details.- C'est un moyen sur de rapprocher la distance, en la bravant. Pensez-y. Je vous assure que des mots dans le genre de ceux-ci, par exemple: "Je me suis levee ce matin a 8 heures et j'ai dejeune devant la fenetre ouverte de mon jardin" otent bien des lieues a la distance - et il y en aura beaucoup entre vous et moi.
  
   Deux heures plus tard.
   J'ai la tete en feu; je suis eperdu de fatigue et de chagrin. Je fais mes malles en pleurant - je ne sais plus ou est ma tate - je ne sais vraiment pas ce que j'ecris.- Je vous ai envoye mon adresse - je vous ecrirai de Berlin.- Adieu - adieu; je vous embrasse tous, vous, Viardot - soyez benis - mes chers et bons amis, ma seule famille, vous que j'aime plus que tout au monde. - Merci de votre chere bonne lettre - je n'ai plus de paroles pour vous dire le bien qu'elle m'a fait - que Dieu vous benisse mille fois.- Il est temps que je finisse - il est temps - il est temps,- Allons, du courage - et bon espoir.- Venez encore pour la derniere fois dans mes bras - que je vous serre contre ce coeur qui vous aime tant, mes bons, mes chers amis,- et adieu. Je vous recommande a Dieu.- Soyez heureux.- Je vous aime et vous aimerai jusqu'a la fin de ma vie.- J'embrasse aussi Manuel et Lady Monson si elle le permet.- Adieu, adieu.

Voire

J. Tourgueneff.

  
   P. S. Je vais chez Louise; je lui porto un livre allemand pour qu'elle se souvienne, elle aussi - de l'ami absent.- Ah! je vous aime tous tant! - C'est maintenant que je le sens plus que jamais...
  

144. ПОЛИНЕ ВИАРДО

19, 20 июня (1, 2 июля) 1850. Петербург

  
   Vous ne sauriez vous imaginer quel plaisir m'a cause votre rentree triomphale a Londres1. Decidement, vous etes la star de la saison et je sens que j'aime les Anglais pour tous les hommages dont ils vous environnent. Vous avez donne mon petit billet a Chorley, n'est-ce pas? Je lui serre cordiae lement la main. Il vous aime; comment ne l'aimerais-j-pas? Je suis si heureux de causer ici, a je ne sais combien de lieues de vous - avec vous et de vous. Tous ces messieurs autour de moi ne se doutent pas quel doux souvenir je cultive (prenez ce mot dans son etymologie de culte) dans ce moment. Votre nom a ete prononce par un des Juifs du bateau: il vous a vue dans "Le Prophete" - il vous trouve tres bien, mais il vous prefere Mlle... Goundi de Leipsic. Pas mal pour un Juif seul. Eh bien! j'ai eu du plaisir a l'entendre prononcer votre nom. A Paris je ne passais jamais devant une affiche sans m'arreter pour la lire, quand je l'y voyais. Que Dieu vous benisse, chere, bonne amie et vous conserve longtemps votre jeunesse et votre voix. Votre pauvre ami absent fait bien des voeux pour vous.
   La mer est parfaitement calme, d'une couleur plombee et laiteuse. La nuit est claire - une nuit d'ete a Peters-bourg. On appercoit dans le lointain les rivages de la Finlande. Le ciel est pale, c'est le Nord. Ces rivages sont bien plats. Les nuits sont bien plus belles a Courtavenel. Voyons,; "Vallon" 2, que me veux-tu? Je sais, je sais... "D'ici je vois la vie...", "Repose-toi, mon ame..." 3. Que me veux-tu avec ta tristesse penetrante, avec tes accents emouvants? Laisse-moi un peu en repos, laisse-moi regarder en avant - les cordes que tu fais vibrer sont douloureusement tendues depuis quelque temps - laisse-les se reposer, se taire.
   Ah! je suis bien fatigue, bien brise, bien las.
   J'ai peut-etre un peu trop pleure. Ce ne sera rien, je me remettrai.
   Oui, car je veux me mettre resolument a ma besogne. Il faut arranger enfin ces insupportables affaires de famille, qui trainent apres moi comme des fils d'araignee apres les ailes d'une mouche qu'on vient de delivrer. Il ie Saut absolument et j'yl parviendrai - d'une facon ou d'une autre. Je vous en ecrirai fidelement toutes les peripeties. Vous me permettez, n'est-ce pas, de vous confier tout ce qui a rapport a moi? de vous confier tout, mais tout ce que je ferai, ce que je deciderai, ce qui m'arrivera. La pensee de vivre ainsi sous vos yeux me fera beaucoup de bien et beaucoup de plaisir.
   Chere et bonne Madame Viardot, quand je vous ennuierai, vous me le direz.
   La pauvre petite Diane est toute desorientee. Elle me regarde parfois avec des yeux qui semblent me dire: "Mais ou allons-nous donc comme cela? Est-ce que nous n'etions pas tres bien la-bas avec le gros Sultan?" Je n'ai absolument rien a lui repondre et je tache de la consoler. Mais elle remue un peu sa queue, moitie par affection, moitie par politesse, et se couche en rond apres avoir beaucoup tourne sur elle-meme. Pauvre petite Diane, je t'aime parce que tu es bonne, et parce que des yeux que j'aime t'ont regardee, des mains amies t'ont caressee. Pensez aussi un peu a elle; je suis sur que cela lui fera du bien.
   Pensez aux absents avec bonte. Votre "Entre le ciel et l'eau" m'est beaucoup revenu a la pensee aujourd'hui. Chantez-le, je vous prie, a mon intention quand vous recevrez cette lettre.
   Je suis si fatigue que je vais tacher de dormir. Je finirai demain cette lettre a Petersbourg et vous l'enverrai demain. Bonne nuit. Que votre sommeil soit doux comme celui des enfants - bonne, bonne nuit.
  
   Mardi, 4 /3 h. du matin.
   Nous voila arrives. Nous sommes devant Cronstadt. Nous ne pouvons pas cependant y entrer. Un brouillard assez epais nous en empeche. Une heure plus tard. Je n'ai plus qu'un moment pour ajouter un mot. Nous partons a l'instant pour Pet<ersbourg>. Une occasion s'offre d'envoyer cette lettre par le meme bateau qui nous a amenes. Je la saisis avec empressement. Je vous ecrirai cependant encore aujourd'hui de Petersbourg. Adieu, mille mille tendresses a vous, a V<iardot>, a tout le monde. Adieu. Je suis presse. A vous de coeur et d'ame.

J. Tourgueneff.

  

145. ПОЛИНЕ ВИАРДО

4 (16) июля 1850. Москва

  

Moscou,

le 4/16 juillet 1850.

   Me voila a Moscou, chere et bonne Madame ViardoU A Moscou... Je n'ai pas trouve Zinovieff a Krestzi1 - une affaire importante l'avait appele a je ne sais combien de verstes de la. Je suis arrive ici avant-hier, je suis descendu a ce meme hotel de Dresde, ou vous avez demeure pendant une semaine2 et depuis hier je loge dans la petite maison de mon frere3. J'ai revu ma mere. J'ai retrouve les affaires dans l'etat le plus pitoyable, mais je vous en parlerai plus tard, quand j'aurai regarde un peu autour de moi. Qu'il vous suffise de savoir que je me fais l'effet d'etre entre dans une cave humide et malsaine pour y rester Dieu sait combien de temps. Ah! le soleil, le grand air, tout ce qui rend la vie belle et bonne - je l'ai laisse la-bas avec vous, mes amis. Que je suis loin de vous! Combien de lieues nous separent! Combien de jours, de semaines, d'annees peut-etre s'ecouleront avant qu'il me soit donne de revoir vos traits cheris, de respirer a l'aise dans votre chere presence. Ne m'oubliez pas, pensez a moi, je vous en supplie - pour moi - que voulez-vous que je fasse, que voulez-vous que je dite pour vous faire comprendre combien le souvenir que je garde de vous m'est doux et cher? 11 est encore bien plus quo tout cela; ce sera, je le prevois, ma seule ancre de salut, quand, au milieu des debats penibles qui m'attendent, occupe a remedier laborieusement a toute sorte de mauvaises et tristes choses, je sentirai mon coeur defaillir de fatigue et de degout. Ce sera ma seule consolation. Quand je penserai a tant de bonte, de verite, de douceur, de beaute, quand je penserai surtout a l'affection qu'on me garde, j'aurai peut-etre plus de courage a laver toutes ces vieilles plaies, a affronter tous ces chagrins et toutes ces miseres. Du reste,; vous me permettrez, n'est-ce pas, de vous confier mes tribulations? Cela me soulagera tant! Je voudrais tant vivre sous vos yeux... et cependant, quand je pense que c'est a Courtavenel que vous allez recevoir ces lettres, pleines de tristes et vulgaires debats de famille, je crains quo l'impression facheuse qu'elles vous produiront, ne rejaillisse involontairement sur moi. Decidement, je ne vous dirai que les resultats. Je ne veux pas gater le souvenir que vous avez de moi; c'est mon tresor le plus cheri et celui que je garde avec le plus d'anxiete.
   Des demain je vais commencer une espece de journal que je vous enverrai. Aujourd'hui, ce n'est qu'une petite lettre pour vous annoncer mon arrivee. Ah! mes chers amis, que je suis triste! et que j'ai le coeur gros! Mais non, il ne faut pas trop vous parler de cela.
   J'ai trouve mon frere marie. J'en suis bien aise. Sa femme est une excellente personne. Ma mere, qui a fait quitter le service a mon frere, comme condition de son consentement a ce mariage, ne l'a pas admis en sa presence depuis qu'elle est ici - leur position est precaire, humiliante, impossible. Ma mere est entouree d'une foule de parasites qui la grugent; s'ils ne faisaient que cela. Mais il y en a deux ou trois qui ont sur elle une influence funeste, et malgre sa faiblesse extreme, c'est elle qui dirige tout... Vous pouvez vous imaginer ce que cela devient!4
   Voyons - cependant - j'avais promis de ne pas vous parler de tout cela.
   Quand recevrai-je votre seconde lettre? Il faut quinze jours pour qu'une lettre de Londres parvienne ici- quinze jours! Je tacherai de decouvrir quelque journal anglais. Je vous en prie, quand vous m'ecrirez, dites-moi ce que vous avez chante chaque fois... Mais fou que je suis, votre reponse ne m'arriverait que dans un mois! Cela ne fait rien - vous serez encore a Londres a cette epoque. Ici, on repand le bruit (et j'en ai entendu parler a St-P<etersbourg" que le general Guedeonoff est alle vous chercher et qu'on veut vous avoir a Petersbourg a tout prix. Le souvenir que vous avez laisse en Russie est si fort et si vivace que je ne saurais vous l'exprimer; on vous adore ici. Ce qui n'empeche pas que vous ne viendrez pas en Russie 6. Il ne le faut pas. Votre position est trop belle pour la quitter de gaite de coeur. Et puis, vous avez tant de belles choses a faire... Oh non! restez en France et que le bon Dieu vous y donne tout le bonheur, toute la joie qu'il tient en reserve pour ses meilleures, ses plus cheres creatures! Sante, bonheur, gloire, tout vous est du et vous en jouirez pleinement ou il n'y a pas de justice dans ce monde.
   J'ecrirai demain et sans faute au bon Gounod que je vous prie de saluer de ma part.
   Chere Madame Viardot, permettez-moi de finir ma lettre maintenant. Je suis trop triste, trop preoccupe pour continuer aujourd'hui. Cependant je ne veux pas attendre jusqu'a demain pour l'envoyer. Je regarde Diane de temps en temps efciui dis: "Eh bien, pauvre petite, nous voila bien loin de chez nous". Je me remettrai bientot, je l'espere. Maintenant donnez-moi vos deux mains et laissez-moi vous souhaiter tout le bonheur imaginable. Soyez heureuse et be

Категория: Книги | Добавил: Armush (26.11.2012)
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